Avis de Nival sur Night In The Woods
C’était fin 2013, en plein âge d’or du crowd-funding, que Night in the Woods se voyait sans mal financé à hauteur de 200.000 $ (soit 4 fois la somme demandée), en exhibant sa patte artistique ultra-séduisante et sa brochette d’ados désabusés promettant une histoire douce-amère à l’humour décalé. Début 2017, le développeur Alec Holowka (Aquaria) et l’illustrateur Scott Benson, réunis sous la bannière du studio Infinite Fall, livrent enfin leur jeu tant attendu, l’heure de plonger dans les affres d’une petite ville américaine en lente déliquescence.
Night in the Woods nous fait incarner Mae, une ado qui revient vivre chez ses parents après une année avortée à l’université. Un retour dans sa ville natale où elle retrouvera ses amis d’enfance et un foyer rassurant, et qui mettra également en exergue des changements dans les vies de chacun, passage à l’âge adulte pas toujours réjouissant, pas toujours consenti, sur fond de crise sociale et économique. Bref, l’occasion d’aborder les problématiques qui assaillent à l’âge où on est en passe de faire le deuil de l’enfance et de l’insouciance.
Ce qui fait mouche immédiatement dans Night in the Woods, c’est évidemment son univers graphique, où les personnages prennent la forme d’animaux anthropomorphes aux traits superbement stylisés, et génialement expressifs en dépit de la grande simplicité du dessin. A noter qu’il n’est jamais fait mention de cet aspect animalier dans le jeu, et jamais un personnage ne sera qualifié, p.ex., d’ours ou de buse, de sorte que cette représentation reste purement formelle, n’empiétant jamais sur les enjeux et les comportements des protagonistes (on nous épargnera ainsi le personnage-lapin qui se délecterait de tourtes aux carottes ou le chat qui ne pourrait pas piffrer les souris). D’ailleurs l’univers du jeu présente également des animaux au sens strict, et notre personnage-chat pourra croiser des chats-animaux (aux proportions et attitudes de chats). Les environnements bénéficient du même traitement graphique épuré extrêmement réussi et l’ensemble est sublimé par une mise en couleur et en lumière vibrante, même si on notera quelques irrégularités dans les décors, avec quelques lieux brutalement en retrait, et une fragmentation des décors par "écrans" qui fait tâche ; tout comme les incessants chargements au moindre changement de décor, trop longs en 2017 pour de simples écrans en 2D (jeu sur SSD pourtant).
La musique (signée Alec Holowka) est au diapason du brio visuel, avec ses sonorités stylisées et ses mélodies rythmées et aériennes, qui restent longtemps en tête et renforcent avec brio l’immersion dans cet univers.
Bon, ok, c’est bien beau tout ça (assurément), mais qu’en est-il finalement du jeu en lui-même ?
Crevons l’abcès tout de suite : le gameplay général est d’une pauvreté abyssale, et le jeu est vraiment à considérer avant toute chose comme un jeu narratif ; même s’il est vrai que quelques mini-jeux parfois assez sèrieux viennent émailler l’aventure.
J’avoue avoir été hyper décontenancé par mes premiers pas dans le jeu, parce que justement finalement on ne me demandait rien, si ce n’est cliquer pour faire défiler des dialogues ; et parfois il est vrai marcher pour rejoindre le prochain personnage à qui il m’avait été expressément demandé de m’adresser. Pour tout dire, après un premier effet de surprise devant un tel dirigisme et une telle absence de considération pour l’initiative du joueur, j’ai cru que c’était en fait là l’introduction du jeu, qui se permettait, certes de façon pas très habile et un peu longuette, de poser les bases de son intrigue, avant que les choses ne démarrent réellement. Mais en fait non. Le fait est que le cœur du jeu consiste à, chaque jour, parler aux personnages à qui on nous aura signalé d’aller parler, pour voir défiler des dialogues automatiques sur lesquels on n’aura aucune incidence. Il est d’ailleurs surprenant de voir que par moment on nous demande de choisir une réplique, mais que souvent aucune ne parait à même d’avoir la moindre conséquence sur la discussion ; du genre avoir le choix entre évoquer le souvenir d’une chute de vélo ou celui d’une inondation ; ou entre répondre « d’accord » ou « mouais » …
Cette progression centrale pour le moins dénuée de tout intérêt vidéoludique se voit heureusement agrémentée de quelques mini-jeux, qui vont du parfaitement anodin mais à but illustratif et immersif (tripoter avec un bâton un objet au sol, faire joujou avec des jets d’eau,…) à des choses bien plus sérieuses mais optionnelles, comme notamment un jeu de rythme loin d’être évident (dont on pourra regretter qu’il survienne à des moment imposés sans possibilité d’y revenir ou de s’y entrainer) et un petit rogue-light plutôt bien foutu auquel on pourra s’adonner librement sur l’ordi de notre héroïne. Entre ces deux extrêmes on pourra citer aussi des séquences de plateforme simplistes lors de rêves rapidement redondants et ennuyeux, qui apportent pour autant un très intéressant traitement musical (et valent au moins le coup d’œil d’oreille pour ça).
On pourra aussi noter que prendre le temps de visiter chaque jour chaque endroit de la ville pour parler à tous les personnages pourra amener certaines mini-intrigues à (légèrement) évoluer, mais au prix de pérégrinations et de lectures longues et rébarbatives.
Si le gameplay n’est pas loin d’être aux abonnés absents, c’est que le centre d’intérêt de Night in the Woods se situe dans sa narration.
Le jeu dresse ainsi une galerie de personnages attachants, avec des dialogues nombreux venant illustrer tout un tas de situations types de la vie de l’adolescent moyen (la soirée à la pizzeria du quartier, la répèt’ de son ptit groupe de rock, la boum dans la forêt, la sortie en boîte branchouille de la grosse ville du coin, le week-end de fête au village, …). Les textes sont plutôt bien écrits et prêtent souvent à sourire par des petites piques amusantes, mais se montrent surtout extrêmement banals. Il s’en dégage certes une bonne ambiance, et certains persos tirent clairement leur épingle du jeu (Greg!), mais très peu de dialogues ont réellement quelque chose à dire. En fait, en dehors d’une discussion entre Mae et sa mère et surtout d'un rêve avec [Dieu himself?] vraiment cool, le reste m’a paru pas loin du remplissage de sitcom, calibré mais tournant à vide ; et vraiment trop étiré en verbiages inutiles et soporifiques sur la bien trop longues douzaine d'heures de jeu, diluant peu à peu l’intérêt qui a déjà du mal à émerger. On peut regretter aussi que notre petite ado se montre d’une immaturité parfois embarrassante, qui empêche nettement le propos de décoller : ben oui, après tout à quoi ça sert de payer son loyer, de travailler, etc. ? alors qu’on peut zoner oisivement toute la journée pour trouver, le soir venu, gite et couvert chez papa-maman… Oui, ça ne vole généralement pas plus haut que ça. Très dommage car certaines thématiques sociales voire existentielle affleurent par moment, mais ne seront finalement jamais réellement abordées, comme si un voile pudique était jeté sur des enjeux trop durs pour être regardés en face (laissons ça aux adultes).
Et que dire du déroulement des "journées" qui rythment la progression, d'une répétitivité effrayante ? Chaque "jour", exactement le même schéma s'enchaine : au levé un coup d’œil sur le portable nous révèle lequel des 3 copains aller voir pour faire avancer l’intrigue ; ensuite on retrouve systématiquement sa mère au petit-déjeuner ; ensuite nous voilà libre d’arpenter la rue principale où on croisera toujours les mêmes perso situés aux mêmes endroits, qui nous sortiront leur dialogue du jour chacun toujours sur le même thème ; puis quand on est lassé de sa tournée routinière, on va aller dialoguer avec le copain du jour qui va déclencher une scène faisant progresser l’intrigue ; puis cette scène achevée on se retrouve chez soi avec systématiquement son père devant la télé à qui on peut aller parler, et finalement son lit à aller retrouver pour lancer la journée suivante. Ce schéma se répétant ad nauseam sans la moindre nuance ou variation tout le long du jeu … On peut se rappeler avec émotion d’un Hotline Miami, qui encadrait ses missions également de schémas narratifs routiniers, mais pourtant y apportait insensiblement de petits changements jusqu’à un final explosif. Mais ici rien de tel, aucune narration ou sens astucieux ne naitra de cette terne répétition ; sensée peut-être illustrer une certaine monotonie du quotidien, mais de façon bien trop caricaturale et artificielle pour porter autre chose que l’ennui du joueur.
Pour autant, derrière ce schéma redondant pas bien stimulant, le jeu cherche à porter en filigrane une intrigue qui ne se fera jour que très progressivement. Cette intrigue, qui prend des tournures de thriller pataud des 90's, se révèle malheureusement sacrément grotesque, tout comme d’ailleurs la façon absurde dont s’enchainent les évènements qui sont sensé s’y rattacher. Au final tout juste de quoi justifier que Mae, derrière son attitude infantile, serait en fait une super camarade en cas de situations critiques et irait jusqu’à sauver la ville d’évènements tragiques… Démonstration quand même pas bien convaincante quand on voit l’artificialité des ressorts scénaristiques mis en place pour tenter d'y apporter du crédit.
On notera au milieu de cela quelques coquetteries pour le coup bienvenues, comme un personnage qui rédige chaque jour des mini-poêmes, tous très réussis : jolie prouesse d’écriture de la part des auteurs ; mais qui malheureusement semble un peu vaine quand le plus gros de l’œuvre n’atteint pas le dixième de la qualité de ce petit à-côté.
FADE MALGRÉ LA SUPERBE DA
Grosse déception pour moi que ce Night in the Woods, qui, en dehors d’un aspect artistique brillant, accumule un gameplay inexistant, une narration poussive, une intrigue grotesque, un propos extrêmement faible. L’ambiance de la bande d’ados est quand même sympa, avec des personnages attachants, même si cela reste dans le domaine du balisé, pour ne pas dire banal. Surnages aussi quelques mini-jeux qui finalement semblent faire la nique au jeu principal (Demon Tower) ; comme quelques poèmes en marge, qui révèlent un brio d’écriture qu'on aurait surtout aimé trouver dans le cœur du récit.
ATTENTION : le jeu est uniquement en anglais, un niveau correct est indispensable pour pouvoir en profiter.
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