Le mois dernier, l'Atelier Sentô nous présentait la préparation d'un atelier avec des lycéens sur 1 jour et demi. L'idée était de leur faire créer un jeu vidéo en mettant l'accent sur la partie graphique. Cécile et Olivier ont donc préparé un prototype complet (histoire et programmation) dans lequel il n'y aura plus qu'à ajouter les dessins des élèves. Les voilà prêts à pousser la porte du lycée...
Nos premier pas dans les couloirs de La Joliverie sont pour nous un vrai saut dans le temps. On se croirait de nouveau à l'école. Sauf que cette fois, nous sommes derrière le bureau. Notre grande surprise est que l'atelier que nous animons est facultatif : les élèves qui ont choisis d'y participer se sont engagés à rattraper les autres cours. C'est dire s'ils sont motivés ! Et ça tombe bien car le programme est chargé. Nous commençons par montrer sur l'ordinateur le prototype du jeu pour leur donner une idée de l'histoire et de son ambiance. Il s'agira d'un récit de fantôme japonais. Avoir une ambiance forte est important car cela permettra d'homogénéiser les travaux des 25 élèves, chacun ayant un style et un niveau différent.
Le contexte japonais nous tient aussi à cœur : cela donne un repère aux élèves (pour beaucoup fans de films d'animation japonais) et c'est un prétexte pour montrer l'importance de la documentation. Nous avions imprimé un grand nombre de photographies (la plupart prises au cours de nos voyages) auxquelles s'ajoutaient quelques livres illustrés (un artbook Totoro, Tokyo Sanpo de Florent Chavouet) et bien entendu notre propre BD, Onibi.
Nous avions aussi préparé une liste des éléments à dessiner : aux élèves de choisir ce qu'ils souhaitaient faire. Il y eut quelques hésitations à ce stade, certains éléments étant attirants (un démon, l'héroïne, …) d'autres moins (le poteau électrique). Pourtant il y a toujours moyen de dessiner de manière amusante et créative un objet a priori rébarbatif. Une fois le choix effectué nous fournissions le matériel (crayon papier et feuilles A4), la documentation correspondante et passions d'élève en élève pour préciser la taille que leur élément devait avoir sur la feuille et la perspective sous laquelle le dessiner pour que ça s'intègre bien dans le jeu.
Seconde étape : reporter le dessin à la table lumineuse sur un papier de qualité. On leur a fait suivre notre méthode habituelle : reporter au crayon 8B, très gras, pour que le trait reste bien visible au moment de colorer. Mais le papier, au grain plus fort que prévu, a posé problème pour les détails les plus fins.
Le lendemain, on a commencé les couleurs. On a bien entendu travaillé à l'aquarelle, méthode qui nous plaît par sa simplicité et sa rapidité. C'est une étape délicate car on ne peut pas revenir en arrière. Il faut donc bien surveiller. Puisqu'il s'agissait d'une scène nocturne, la méthode était d'appliquer une teinte homogène bleu gris, attendre que ça sèche puis peindre les couleurs de l'objet avec suffisamment de transparence pour que le fond bleu reste visible. Certains élèves ont eu des problèmes avec des aquarelles de qualité catastrophique (on n'avait jamais vu ça : ça formait des grumeaux !), d'autres parce qu'il passaient des couleurs avant d'attendre que la couche inférieure n'ait séchée. Résultat, la peinture risque de s'arracher et de faire des trous.
Du coup, cette étape a été très intéressante car on a bien pu montrer à chacun comment mouiller le pinceau, attraper le pigment, mélanger les couleurs et les appliquer sur la feuille (pour ceux que ça intéresse, je vous renvoie à la fameuse technique de la gougoutte de Boulet). C'est tout simple une fois qu'on a pris le coup de main !
La dernière étape n'était pas forcément la plus amusante car il s'agissait de scanner et détourer les dessins pour obtenir les png à fond transparent qui seront intégrés dans le jeu. Pour détourer nos dessins, nous utilisons une technique très primitive : l'outil gomme. Le trait au crayon et l'aquarelle ont des rendus très irréguliers. Il est donc impossible d'utiliser les outils de sélection automatique de photoshop. Pour les élèves les plus doués sur photoshop cela pouvait sembler une perte de temps un peu absurde mais il faut s'armer de patience et découper à la main en faisant attention à chaque détail.
Au fur et à mesure que les éléments étaient découpés, il suffisait de les copier-coller dans le bon dossier pour qu'ils apparaissent directement dans le jeu. Le résultat était projeté en direct sur un écran et ça avait quelque chose de magique de voir notre prototype se transformer au fil des minutes en un véritable jeu aux magnifiques graphismes aquarellés.
A la fin de l'atelier, il était possible de jouer à une première version assez complète, même s'il nous restait encore du travail (la musique, coder les puzzles, écrire les dialogues…). La leçon que nous tirons de tout ça est qu'il est intéressant de confronter des univers différents : ces élèves en art ne se destinaient pas au jeu vidéo. Leurs niveaux étaient très variés (certains n'avaient pas l'habitude de dessiner, d'autres utilisaient l'aquarelle pour la première fois). Mais avec de la motivation, même sur une très courte durée, on aboutit toujours à de beaux résultats. Nous avons beaucoup aimé diriger cet atelier et sommes très satisfaits du travail de nos élèves. Nous espérons que le jeu vous plaira.
Vous pouvez y jouer sur itch.io à cette adresse : https://ateliersento.itch.io/yurei-station
N'hésitez pas à nous donner votre avis !
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Sommaire
- Partie 1 - Présentation d'Atelier Sento
- Partie 2 - Premiers pas et prototype
- Partie 3 - Souvenirs d'Okinawa
- Partie 4 - Présentation du moteur Wintermute
- Partie 5 - Gérer les acteurs dans Wintermute
- Partie 6 - Guider le personnage
- Partie 7 - La mise en place des décors
- Hors série - Les jours où ça n'avance pas !
- Partie 8 - L'enregistrement des sons
- Partie 9 - Les énigmes
- Partie 10 - Les musiques
- Partie 11 - Communiquer en s'amusant
- Partie 12 - Un jeu made in tout le monde
- Partie 13 - Dans 60 ans...
- Partie 14 - Le scénario
- Partie 15 - L'intégration des personnages
- Partie 16 - Le regard des joueurs
- Partie 17 - Les variables
- Partie 18 - La traduction anglaise
- Partie 19 - En route pour 2016
- Partie 20 - Un chat pas comme les autres
- Partie 21 - La gestion de l'inventaire
- Partie 22 - La création de cutscenes
- Partie 23 - Faire bêta-tester son jeu
- Partie 24 - Interview de Nick Preston
- Partie 25 - Interview de Thorn
- Partie 26 - Anatomie d'une scène : l'idée de départ
- Partie 27 - Anatomie d'une scène : l'énigme
- Partie 28 - Anatomie d'une scène : le croquis
- Partie 29 - Rencontre avec le studio Ernestine – 1ère partie
- Partie 30 - Rencontre avec le studio Ernestine – 2e partie
- Partie 31 - Du papier à l'écran
- Partie 32 - L'école des fantômes
- Partie 33 - Développer un jeu avec des lycéens
- Partie 34 - Faire connaître son jeu
- Partie 35 - Sur les routes de France
- Partie 36 - Éloge des gribouillis
- Partie 37 - Un jeu dessiné par des enfants
- Partie 38 - La naissance d'un projet
- Partie 39 - Mélanger 2D et 3D
- Partie 40 - Adventure Creator
- Partie 41 - Designer des personnages
- Partie 42 - The Doll Shop
- Partie 43 - Donner de la profondeur
- Partie 44 - Des personnages en kit
Comments
Olala, je viens de tester ça, et ça déchire carrément ! Même si ça m'a paru très sombre*, l'ambiance transporte immédiatement dans cette solitude introspective, et la vue de dos déroulant les images dessinées dans la perspective est une très belle et astucieuse idée, à moindre "coût" (en terme de réalisation technique) pour un résultat très convaincant et immersif.
Et avoir fait participer une classe est une expérience à mon sens géniale !
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Tout ça en une journée ! Bravo les Sentô !!!
Et les jeunes, qu'est-ce qu'ils en disent ? Les ados sont parfois terribles quand ils critiques, ne se rendant pas compte de certaines réalités. Mais là, maintenant qu'ils ont eux-même vécu cette création, comment ils en parlent ? Est-ce que ça leur donne envie de poursuivre. Est-ce que ça les fait rêver de pouvoir raconter d'autres histoires, ou de poursuivre celle là
Bien sûr, j'ai un peu galéré avant de trouver comment résoudre l'énigme pour la destination du train. Une fois trouvé, ça semble évident, mais au moment où on galère, c'est frustrant de se dire qu'il faut abandonner le jeu puisqu'il n'y a pas de soluce. Bon, je me permet de mettre un indice pour aider ceux qui comme moi ne sont pas fort en énigme (et vous l'enlevez si vous trouver que c'est pas une bonne idée !). Donc,
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Les effets de pénétration dans le décors sont très beaux. Décors, personnages, couleurs, animations, tout est beau ! Et aussi une chouette mise en scène, par exemple le traveling arrière après le pré-générique. Il nous lance dans l'histoire, nous y introduit en nous montrant qu'en fait on est juste devant l’héroïne. De la voix off, on passe au in, et l'identification peut se concrétiser. C'est beau et efficace.
On est entre le cinéma et la BD, avec en plus l’interaction... enfin, on est bien dans un jeu vidéo !
Merci TeoM pour ton message !
- ce que les élèves en pensent maintenant : ça, on ne sait pas. On ne les a pas revus depuis. A la fin de l'atelier, certains ont dit que ça leur avait donné des idées.
- les énigmes : pourtant, elles sont simples, héhé ! Ca nous amuse parce qu'à chaque fois que quelqu'un fait un let's play sur youtube, on voit qu'il coupe au montage toute la partie où, à la fin, il essaie au pif les différentes combinaisons. Alors qu'en observant le message reçu à ce moment, on peut résoudre l'énigme très simplement. Mais j'ai l'impression que le fait de devoir observer les idéogrammes bloque la plupart des joueurs. Alors que si ça avait été des symboles, ils n'auraient pas eu ce blocage.
- la mise en scène : merci ! On s'est beaucoup appliqué à ce sujet. C'était une nouvelle forme d'expérimentation pour nous et on est contents du résultat.
Waow ! chapeau aux lycéens !! Et à vous bien sûr
Vous pouvez être fier du résultat, c'est très joli !
C'est le genre de projet que j'aurais adoré au lycée (quoi que j'aurais sûrement préféré la partie programmatoire, je ne suis pas un bon dessinateur ). Je trouve vraiment génial ce genre d'initiatives, vous partagez la culture du jeu vidéo et de l'art auprès des jeunes, et de leurs parents. Je pense que certains étaient encore restés sur les stéréotypes du jeu violent et/ou débile, et là, il n'en est rien !
Qui sait, vous avez peut-être créé des vocations...
Merci beaucoup, on est contents que ça t'ait plu !
Ça nous a fait le même effet que toi, quand on est arrivés sur place et qu'on a vu les locaux splendide et la belle salle d'art : on s'est dit que les élèves avaient une chance folle d'avoir ce type de projets. D'ailleurs, l'année précédente, ils avaient même organisé un voyage au Japon pour visiter une école de manga !!!!
Bref, les conditions étaient idéales.
A la fin de l'atelier, certains nous ont dit qu'ils s'intéressaient déjà au jeu vidéo et que ça leur avait donné des idées. On était tout contents !