Avis de Nival sur Cloudpunk

Narration sympa, jouabilité bof bof
Par Nival

Il faut déjà être clair : le jeu est fondamentalement un pur visual novel agrémenté d'un système de navigation luxueux pour lier le tout et immerger dans son univers et son rôle de livreuse. Je ne dis pas du tout ça comme un défaut, mais déjà que les bases de ce que le jeu propose (et, en négatif, ce qu'il ne propose pas) soient claires. Moi perso ça me va d'ailleurs parfaitement, je n'ai aucun problème avec les jeux narratifs dont j'ai énormément apprécié certains (Oxenfree, Detention, ou encore une tripotée de point & click comme Gemini Rue).

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Cependant, là où le bât blesse à mon sens (en tout cas ce qui m'a rendu l'expérience bien peu enthousiasmante) :

  • La navigation en ville est extrêmement morcelée et limitée, je n'arrive pas à comprendre comment certains en arrive à l'adjectif "grisant" quand on se trouve ainsi cloisonné dans des zones rectangulaires sagement séparées par des points de passage avec temps de chargements, et (le pire peut-être ?) dans lesquelles on est complétement entravé dans la verticalité entre un seuil max et min empêchant toute plongée à pic ou ascension vertigineuse. Le truc est d'autant plus frustrant que le jeu se voulant "en voxels", cette technologie permet justement tout un tas d'optimisations folles à même d'offrir des possibilités débridées ... mais en fait le jeu n'est techniquement PAS en voxels, simplement c'est (techniquement donc) de la 3D polygonale tout à fait classique, se bornant à arborer un "style voxel", mais du coup cela doublé de compétences techniques manifestement assez limitées de l'équipe de dév, on se retrouve avec des entraves que j'ai trouvé surtout frustrantes, et en tout cas bien loin d'être grisantes ; c'est finalement tout à fait plan-plan et classique à ce niveau (la navigation ; je ne parle pas de la direction artistique, elle relativement réussie, qui est une autre question --et j'y reviendrais-- ). En plus pour tenter de palier ces limitations gênantes, le jeu prétexte qu'en fait *pour des raisons de contrôle de la circulation on doit passer par ces points-de-passages-obligés*, qui eux permettent de changer de "niveau" dans la ville ; sauf que, s'enfoncer (théoriquement) plus bas à l'occasion d'un de ces écrans de chargements est incohérent avec ce qu'on observe, puisque quel que soit l'altitude théorique on retrouve toujours le même type de configuration d'immeubles avec la même variabilité de hauteur, et donc toujours une bonne partie de bâtiments qu'on peut survoler et tous les bâtiments dont on peut apercevoir le sommet ! (alors que "logiquement", si j’atteins déjà le sommet de la majorité des bâtiments dans les confins les plus abyssaux, il ne devrait plus y avoir beaucoup d'immeubles entre lesquels circuler une fois à l'étage "supérieur" ; et à l'inverse, avoir des bâtiments qui s'enfoncent dans un brouillard insondable dans les parties supérieures devrait se traduire dans les parties inférieures par des bâtiments au proportions gigantesques aux sommets indiscernables ....) Bref, décidément la verticalité ressentie reste inéluctablement réduite à la hauteur de la fine couche navigable, et la proportion verticale alléguée de la ville dans son ensemble n'est jamais traduit par autre chose que de timides évolutions des skybox, bien insuffisant pour faire son effet ...
  • les contrôles en vol sont assez aberrants, là c'est vraiment très bizarre, tant à comprendre le choix des dévs que de n'avoir vu (il me semble) personne le relever : stick gauche utilisé uniquement pour tourner gauche/droite, et stick droit uniquement pour monter/descendre ?? Ils ont pas vu que les sticks offrent 4 directions *chacun* ? Et du coup le "strafe" relégué sur les boutons de tranche, mais comme on a besoin des gâchettes pour avancer / freiner, on ne peut pas strafers déplaçant a moins de recourir à des contorsions des doigts bien tordues ... Et cerise sur le gâteau, la montée/descente ne se fait pas par inclinaison du nez de notre rutilant bolide pour p.ex. plonger vers les bas-fonds, mais par une molle translation "a plat" pas bien réjouissante (certes "améliorable" dans une certaine mesure en terme de réactivité ...), avec en plus comme corollaire de ne pas pouvoir regarder vers le bas ou vers le haut (bah oui, parce qu'aussi vu l'utilisation que de la moitié des contrôles de direction disponibles, y'a pas non plus de place pour intégrer une gestion de la caméra qui pourrait palier un minimum l'absence de possibilité d'incliner le véhicule vers le haut ou le bas ; enfin, y'a bien un bouton permettant une caméra un peu libre mais alors ça se substitue à la gestion de la direction, super bien pensé ...). On va pas en rajouter avec le fait qu'en marche arrière la caméra reste imperturbablement fixée vers l'avant, et qqs autres joyeusetés, mais bref, la jouabilité occasionnellement plaisante est aussi régulièrement mise à mal par cet ensemble de soucis empêchant une conduite précise, confortable et si "grisante" que cela.
  • On passe aussi beaucoup de temps à marcher au sol, où les choses empirent d'autant que le "level-design" impose des points d'atterrissages parfois gentiment éloignés des points d'intérêt, et tant qu'à faire obstrue aussi plein de ruelles par différents éléments de décors pour limiter encore plus les chemins possibles (et forcer de larges contournement et autre rebroussements de chemins soporifiques), ce qui est marrant 5 minutes mais peut quand même vite devenir saoulant, d'autant que là aussi y'a des choses bizarres qui se passent dans la jouabilité, à savoir une caméra fixe en mode "vue de coté", prise de grandes rotations brutales à 90° à chaque angle de rue ; voire de demi-tour soudains limite anxiogènes par la brusque perte de repère qu'ils occasionnent. Cela doublé d'une très mauvaise lisibilité et gestion des collisions qui fait qu'on passe son temps à se cogner à tout le mobilier urbain qu'on croise, autant dire que ces phases sont loin d'être une réussite (alors qu'elle doivent pas être loin de représenter autant de temps que celui qu'on passera dans son véhicule tellement le personnage est lent par rapport aux distances qu'on nous impose de parcourir).
  • Pléthore de collectables osef qu'on nous pousse à aller chercher aux quatre coins de la map (au prix de la démultiplication de ces assommant passages à pieds) vu que parmi eux se cachent quelques uns relatifs à des quêtes secondaires qu'on a bien envie de compléter (mais on ne sait pas lesquels (tous sont représentés de la même manière sur la carte (et illisibles en jeu tant qu'on ne les a pas ramassés...)), donc c'est parti pour un jeu de piste pas bien passionnant mais frustrant de réprimer).
  • En dehors de son brio graphique qui hypnotise les premières minutes de jeu, la ville est quand même super vide et redondante : en dehors de quelques lieux spéciaux, on retrouve les mêmes éléments de décors / type d'immeuble / mobiliers urbains / panneaux publicitaires / vendeurs de ramens / etc. absolument partout, des quartiers sensé être "chics" à ceux sensé être les plus malfamés. Là encore l'ambiance en prend un coup, entre manque de personnalité des différents secteurs et coutures vidéo-ludiques bien trop criantes, décor bien vide où il n'y a rien à faire que passer d'un point sur la carte au suivant. Et puis quand même, si le style voxel fait parfaitement son office pour matérialiser les grands alignements d'immeubles, passerelles, larges balcons, etc. à angles droits, ça jure en revanche sacrément sur d'autres éléments où cela se prête bien moins, comme p.ex. les parties sensées être inclinés (voire courbes, voire rondes ...) qui se retrouvent affublées d'hideuses marches d'escaliers qui cassent bien le trip, ou encore la végétation qui prend des aspects ternes et artificiels loin de ce qu'elle est sensée restituer ; et que dire des personnages, qu'heureusement on ne voit (autant que le jeu y parvient) que de très loin, et heureusement agrémentés de portraits eux super réussis qui donnent un gros coup de fouet à leur présence.
  • On pourrait aborder aussi tous les éléments de "customisations" complétement nuls (genre on peut acheter des fringues/accessoires pour son perso, mais vu que ça ne se répercute que sur la version immonde en voxel qu'on ne voit de toute façon le plus souvent qu'à 500m de distance, autant dire que ça n'apporte rien, et l'aménagement de l'appart est une mauvaise blague ; quand on prendrait sûrement autrement plus de plaisir à personnaliser son bolide, mais ça ce n'est pas au programme ...).

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Là où le jeu fonctionne trèèès bien en revanche, c'est dans sa narration, rythmée par les livraisons et les rencontres, qui sait savamment ménager historiettes futiles et intrigues plus touffues, avec une variété très inspirée émaillée de péripéties en tous genres, et portée par une très bonne qualité d'écriture (et un bon niveau de traduction), distillant un univers captivant, bien que grevé par une approche et des thématiques souvent superficielles et convenues. Le ton très pragmatique et plein de bon sens de notre héroïne apporte en tout cas une certaine fraîcheur et la rend rapidement attachante, et sa relation avec "Contrôle" s'étoffe de jolie façon au cours de l'aventure. Dommage que l'histoire principale qui se révèle sur la fin s'avère fumeuse et inintéressante. (Sur des thématiques finalement très proches, préférez mille fois Technobabylon ; même s'il a des défauts indéniables sur d'autres aspects) À noter aussi l'absence total de choix de dialogues dans les nombreuses discussions, simplement qqs rares possibilités de choix dans une poignée de missions de livraison, a priori sans répercussion dans le déroulé de l'histoire, intéressantes quand même le plus souvent.

Il résulte de tout cela l'agréable souvenir un peu vague d'une balade dépaysante, mais pas vraiment de moments ou idées fortes.