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Message Sujet: [Test] Aviary Attorney     08/06/2016 à 06:30
Aviary Attorney, le tribunal des animaux

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Modestement financé à hauteur de 19.000 £ sur Kickstarter en janvier 2015, voilà encore un projet qui a basé sa communication sur la participation à son développement d'anciennes célébrités sur le retour. Pour autant les stars en question sont autrement plus intemporelles qu'un Koji Igarashi ou un John Romero. Jugez plutôt, puisqu'on retrouve en lead artist le lithographe Jean-Jacques "J.J." Grandville, et à la composition l'illustre Camille Saint-Saëns, tous deux sortis de leur 19ème siècle pour justement mettre en image et en musique cette période historique de notre bonne vieille France, sous un angle qui leur est cher, celui des animaux. Cela le long d'une aventure revendiquée (jusque dans son titre) comme inspirée de la série des Ace Attorney. La démarche est pour le moins originale, mais le ramage est-il à la hauteur de ce scintillant plumage ?

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Une fois une affaire bouclée, Jayjay est plus enclin à déboucher une bonne bouteille qu'à ouvrir le dossier suivant.

Le juge est une grue

Le concept est un peu à mi-chemin entre le bricolage à bas coût et l'idée de génie : utiliser des gravures et musiques d'époque pour illustrer un jeu d'époque. L'intérêt est évident d'un point de vu technique : on s'assure le talent d'artistes prestigieux sans avoir besoin de dépenser trop de temps et d'argent (de fait, ces œuvres pré-existent au développement du jeu, et sont libres de droit). Les limites se font aussi assez évidentes : il va falloir soigneusement trier son matériau pour offrir une cohérence d'ensemble, et composer avec des éléments qui n'ont absolument pas été pensées pour le jeu. Enfin, les visuels à disposition sont irrévocablement statiques et monochromes, ce qui est toujours à risque d'apporter une austérité peu engageante.

Il faut reconnaitre que le studio s'en sort très très bien, car, piochant dans le riche bestiaire du caricaturiste français, qui s'est fait une spécialité de croquer les personnages de son temps sous les traits d'animaux les plus divers, il arrive à constituer sans peine une galerie de personnages hauts en couleurs, dont les représentations tombent toujours à point. Les décors (probablement d'horizons plus divers) se renouvellent aussi sans cesse au gré des nombreux lieux visités, et il est surprenant de voir comment les animations très minimalistes peuvent apporter autant de vie à tout ce beau monde, aidé il est vrai par des dialogues souvent truculents, et des effets de zoom et de travelling qui dynamisent la mise en scène quand nécessaire.

Le résultat est donc extrêmement plaisant, et ce qui, à un moment, a forcément constitué avant tout une facilité de réalisation, s'avère exploité avec brio, pour au final imposer un univers à la patte unique et diablement immersive.

La musique n'est évidemment pas en reste, Camille Saint-Saëns oblige, avec un Carnaval des Animaux forcément dans le ton !

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Au fur et à mesure de l'aventure, la carte de la capitale s'enrichira de nouveaux lieux à visiter.

L'épervier, juge et flic

Niveau gameplay, Aviary Attorney nous met dans la peau d'un fringant avocat aux traits on ne peut plus aquilins, à la carrière quelque peu balbutiante, qui va se voir soumettre une succession d'affaires de plus en plus ardues. Sous couvert de défendre son client, l'activité de notre héros va rapidement prendre la forme d'une enquête policière, le joueur étant invité à se rendre en différents lieux collecter le maximum d'indices en examinant les scènes de crimes ou interrogeant les protagonistes et témoins potentiels.

L’enjeu de ces séquences s'articule essentiellement autour du temps restant avant la tenue du procès, chaque visite consommant une journée, et le temps imparti étant le plus souvent insuffisant pour se rendre à tous les endroits disponibles. Il va ainsi falloir se montrer optimal dans ses choix, mais malheureusement le jeu ne livre souvent pas suffisamment d'indices pour prévoir les lieux à privilégier, et on sera tenté après quelques déconvenues de recharger sa partie une fois compris comment le jeu voulait qu'on mène nos investigations. Un peu dommage. La mécanique pourtant pas idiote est surtout grevée par son caractère binaire 1 lieu = 1 jour. Ainsi au départ il faut bien faire un choix alors qu'on a encore très peu d'élément à notre disposition, donc, allez, zou, allons chez le fleuriste ... sauf que là on trouve sans prévenir porte close avec un mot "absent aujourd'hui" ... et alors qu'on n'aura rien fait de sa journée si ce n'est un bref aller-retour à la boutique, on aura bel et bien consommé un précieux jour ; soit autant que si on s'était rendu au jardin des tuileries inspecter chaque bosquet et interrogé chaque visiteur ! Un système plus souple avec p.ex. un décompte d'heure, à utiliser judicieusement entre les temps de trajets, les inspections et les interrogatoires, aurait été sans doute plus judicieux et moins frustrant.
D'autant que le problème se double d'un vrai souci d'ergonomie : il n'y a aucun indicateur qui permet de savoir le nombre de jours restant ! Il s'agit donc de bien relever initialement le jour prévu de l'audience pour pouvoir s'y référer au fur et à mesure que le calendrier défile. Il faut sinon passer par l'écran de chargement de parti, qui permet de repérer pour chaque chapitre quels jours ont été joués sur la totalité disponible.

Les interrogatoires sont un plaisir à lire, les dialogues étant émaillés de nombreuses notes d'humour et les personnages souvent gentiment barrés. Pour autant, le challenge se révèle très limité du fait qu'ils s'avèrent, à quelques exceptions près, très linéaires et sans réels choix à opérer (si ce n'est l'ordre dans lequel on posera nos questions). On notera quand même à certains moment la nécessité de revenir parler à un personnage après avoir glaner de nouvelles informations, par exemple parce qu'elles mettent à mal sa première version des faits.
Quant à l'inspection des scènes de crime, il s'agit assurément de la partie la moins intéressante du jeu, puisqu'il s'agit de chercher les zones cliquables sur un écran fixe, et donc de cliquer dessus jusqu'à épuisement de tous les points d'intérêt. Elles rythment toutefois logiquement le déroulement des enquêtes et participent à l'immersion.

Au fur et à mesure de nos pérégrinations on collecte ainsi un nombre plus ou moins important d'indices (soit sous forme d'objets, soit sous forme de fiches de personnages) qui pourront à terme servir lors du procès qui clos chaque acte.
Et le procès est évidemment une partie cruciale du jeu, avec un déroulé plutôt intéressant. Dans un premier temps, l'avocat général énonce les faits et ses conclusions menant à incriminer notre client. A partir de là, un résumé du réquisitoire s'affiche à l'écran, avec soulignés les éléments clés qu'on va pouvoir approfondir et éventuellement contester. Chaque piste ouvre un dialogue à choix multiples, au cours duquel il pourra arriver qu'on nous demande de désigner une personne ou une preuve matérielle parmi celles amassées durant l'enquête. Les témoins sont ensuite appelés à la barre, de nouveau le représentant du ministère public intervient, puis à notre tour de revenir sur les déclarations faites ; et ainsi de suite, ponctué par les interventions du juge et les exclamations du jury (parfois convaincu, parfois consterné quand on émet des suppositions franchement farfelues). Ces séquences s'avèrent très sympas, d'autant qu'évidemment toutes les pistes que l'on peut aborder ne sont pas pertinentes, et que pour celles qui le sont on n'aura pas forcément pu réunir les éléments requis pour l'étayer. On regrettera juste la façon trop directive avec laquelle on est amené à utiliser les preuves à notre disposition : le tableau des objets ou celui des personnages s'affichent de façon forcée à certains moment de la discussion, avec le plus souvent l'élément à sélectionner évoqué de façon évidente dans la phrase précédente (et si ce n'est pas évident, c'est juste qu'on ne l'a pas trouvé). Il aurait été bien plus intéressant je pense de permettre au joueur d'ouvrir à sa guise les différents tableaux au gré des échanges, le laissant estimer lui-même à quel moment du débat placer les éléments matériels en sa possession.

Pour autant, si l'on peut donc regretter, d'un coté le manque d'initiative laissé au joueur tant lors des interrogatoires que dans l'examen des lieux ou lors du procès, et d'un autre coté le caractère trop aléatoire de la gestion du temps imparti à l'enquête (donnant un petit goût de die and retry pas forcément bienvenu dans ce type de jeu), le fait est que jouer avec les mécaniques proposées reste très agréable et qu'on se prend très vite au jeu, se glissant sans peine dans la peau de notre avocat-détective. Et le fait que l'on puisse perdre un procès par une préparation insuffisante ou un argumentaire mal mené permet de nous garder stimulé en permanence (en dépit les marges de manœuvres réduites) ce qui est indéniablement un bon point.

IMAGE(https://lh3.googleusercontent.com/pw/ACtC-3cmMBWr37F61XBkePQccqw4StmX-Peq23yfhHR7d4tqb42m7cHh9zawrcJXynQlLcD9b5cedcriNLJB8YBCNFYybcl3NqsFtsIjK6iwQVXpnB99KjOGm3VjB71mABZyjmQpXWBhCGh1pevPg8KK1PE=w640-h352-no)

L'inspection des scènes de crime n'est pas vraiment passionnante.

Une Histoire de France qui a du chien

Et ce qui qui va par dessus tout stimuler l'intérêt du joueur, c'est évidemment les intrigues qui nous sont contées. Et "intrigue" n'est pas un vain mot tellement on se trouve plongé au cœur d'une période trouble de l'Histoire de France, où enfle le grondement sourd des conjurés et des révolutionnaires. Et si nos premières affaires concerneront de triviaux intérêts pécuniaires et familiaux, on sera vite rattrapé par des enjeux politiques et autres sociétés secrètes, avec des affaires qui deviendront étroitement intriquées.

L'écriture est inégale et si on a droit à pas mal de tirades amusantes, avec des jeux de mots bienvenus et l'incursion cocasse d’expressions françaises au sein du texte en anglais (un anglais soit dit en passant très facile d'accès), les rapports entre les personnages sont souvent simplistes et chaque histoire construite sans grande finesse. En revanche, le tout est relevé de péripéties qui brisent très régulièrement la routine (au point que la première affaire, qui fait office de tutoriel, est la seule à réellement respecter le schéma type qu'elle présente), et notre héros se verra pris à partie sur son histoire personnelle ou devra jouer de rivalités tantôt avec un juge, tantôt avec l'avocat général, densifiant ainsi les enjeux dramatiques. Le jeu ménage aussi des ruptures de rythme et de ton, et on a ainsi droit à un long moment d'accalmie (où l'on se retrouve d'ailleurs livré à soi-même pour un passage quelque peu longuet) avant d'être pris dans une tourmente soudaine au dénouement vraiment mémorable. Et l'acte final, s'il n'est pas aussi épique que celui qui le précède, clos l'histoire de façon réjouissante par un malin clin d’œil à l'Histoire.

On notera enfin qu'une des affaires mènera à plusieurs variantes du dernier acte, de quoi rajouter aux plus curieux près de 2h de durée de vie, aux 4 à 5h nécessaires pour boucler le jeu d'un seul tenant.

IMAGE(https://lh3.googleusercontent.com/pw/ACtC-3dsztKR62uR9BCCbIyYHOsOBNwNwQh58K59MVGgcwnc0a1eZKJJWUi9gBdqNPzxqGLiGYr2ULdg7UxaiX2gEsYqXyeWCfra4kbCXzk41Q3oxxZUM5t3jjEKB9jKQMP42T0arcJ5CINc5-QbqlNbjss=w640-h360-no)

Rapidement, le climat politique trouble prendra le pas sur nos affaires courantes.


CONCLUSION:
Si les affaires ne sont pas finement construites, les personnages souvent simplistes, les initiatives du joueur limitées et pas toujours bien maitrisées, Aviary Attorney brille par ses choix artistiques, son univers attachants, son caractère jovial et malicieux, et ses péripéties rocambolesques qui maintiennent l'intérêt en permanence. Un jeu hautement recommandable donc, pour qui n'est pas à la recherche d'un gameplay pointu ou d'intrigues dignes d'Agatha Christie.

IMAGE(https://www.indiemag.fr/sites/default/files/Forum/3.png)