Après son jeu Mountain, qui en 2014 nous laissait incarner un montagne, David OReilly propose en 2017 avec Everything d'incarner… tout le reste. Les animaux, les végétaux, les rochers, les microbes, les continents, les atomes, les galaxies… Tout. Le concept a de quoi étonner. Pourtant il utilise des principes minimalistes pour servir un propos riche. Everything pose la question de l'être. C'est un jeu sur la perspective, l'existence, et l'univers. Mais surtout, c'est un jeu grisant, et même fun.
Le fonctionnement d'Everything est simple. On dirige un corps dans l'espace, et par l'appui d'un bouton on peut prendre le contrôle d'un autre objet à proximité, qu'il soit plus petit ou plus grand. Cette même capacité permet aussi de changer d'échelle, en s'élevant dans le macroscopique, ou en inspectant le microscopique. Après un début un peu bavard pour expliquer les règles, on voyage aisément de l'infiniment petit à l'infiniment grand, en passant par les différents mondes imbriqués entre eux. Ce passage d'une entité à une autre, et d'un monde à l'autre, est l'interaction centrale d'Everything. Il s'agit avant tout d'un jeu d'exploration. Exploration de l'espace, du système, et des possibilités. Notamment par le changement constant de perspective. Il y a quelque chose de fascinant à voir une même scène du point de vue d'un loup, puis d'une immense tour, ou d'une minuscule touffe d'herbe… Les troupeaux deviennent pions, puis notre précédente incarnation devient titan… Le temps se fige, s'accélère… L'effet est particulièrement saisissant dans le microscopique, ou ce qui apparaît déjà comme minuscule forme une gigantesque structure alien dès que l'on descend plus bas. L'exploration d'Everything n'est pas poussée par des objectifs, mais par une curiosité constante.
Car ce qui induit cette curiosité avant tout, c'est la variété du jeu. Le titre ne ment pas sur la marchandise : le jeu contient vraiment de tout. Otaries, poissons clown, sapins, cannabis, mégots, hôpitaux, station ISS, pizzas, treponema pallidum… Le jeu offre une quantité aussi colossale que précise d'entités. Toutes regroupées (et même documentées) dans une grande encyclopédie, découpée en catégories. Le jeu indiquant le pourcentage de complétion pour chacune d'entre elles, le plaisir de la collection s'installe facilement. Même si la complétion totale semble difficile, dur de résister à l'envie d'en voir le plus possible. Le jeu ne manque pas de secrets, allant de petites surprises à des zones complètement nouvelles. C'est un peu comme si tous ces modèles 3D étaient des jouets disposés dans un monde cohérent, les plaçant chacun dans une scène… Naît alors une sorte de désir enfantin d'incarner tel animal, tel maison, tel statue… Le jeu offre d'ailleurs la capacité de chanter, comme pour clamer au monde notre identité fraîchement acquise. Everything n'est pas un jeu de contrôle et d'actions, mais d'incarnation et d'états. L'interaction reste la même quoi que l'on soit dans l'univers. Ce qui nous amène à la pensée d'Alan Watts.
Parmi les dialogues d'Everything se trouvent des extraits audio de plusieurs conférences d'Alan Watts, philosophe anglais du 20ème siècle. Il présente une vision du monde où chacun ne se contente pas de vivre dans l'univers, mais est une part de celui-ci. L'existence d'un individu dépend de tout ce qui l'entoure, et l'univers lui-même n’existerait pas sans lui. Sa naissance, sa mort, et tous les événements entre les deux, ne sont que fragments d'un flux dont l'univers est composé. Rien ni personne n'est important, il n'y a pas de perspective qui vale plus qu'une autre, nous ne sommes le centre ni de l'univers, ni de notre propre vie. Les événements que l'on rencontre nous arrive autant à nous que réciproquement. Tout ce qui existe, vivant comme mort, ne forme qu'une seule entité. La conscience est une illusion créée par un motif d'informations de millions de cellules connectées.
C'est sur cette philosophie que repose Everything. D'une part en faisant découvrir les discours de Watts au sein même du jeu (sous-titré en anglais uniquement) et d'autre part en illustrant ces derniers avec son système. Everything invite à abandonner la notion d’ego au sein du jeu. Une des capacité offerte est d'ailleurs de rassembler plusieurs entités pour les diriger toutes ensemble. On n'est alors plus un être unique, mais un ensemble. En incarnant tout successivement ou simultanément, on réalise que l'on est virtuellement l'univers entier. L'expérience interactive se marie avec les propos de Watts comme si elle en était une simulation. Le jeu en devient une traduction d'un discours philosophique en game-design. Une expérience zen, encourageant la contemplation et l'appréciation du monde tel qu'il est, en s'oubliant soi-même. Pour peu que l'on aime les visuels et la bande sonore, Everything est la manière la plus agréable de découvrir les réflexions existentielles de Watts. Ou bien de s'amuser des fantaisies d'OReilly.
La démarche des animaux ne manque pas de frapper par son ridicule. De même, le déplacement de bâtiments ou d'objets inertes du quotidien est forcément burlesques. L'humour absurde est omniprésent dans le jeu. Everything ne se prend pas toujours au sérieux. Jusque dans les dialogues, bulle de pensées des objets que l'on croise sur notre routes. Une fleur est persuadée de vivre éternellement, un continent se demande ce qu'est la conscience, un scarabée rêve d'aller à l'école… Entre philosophies et ironies, le jeu exprime sa propre vision du discours de Watts. L'existence y est présentée comme éphémère, dénuée de sens, mais malgré tout appréciable. La fin du jeu, mettant face aux crises existentielles et aux désespoirs matérialistes, encourage elle-même à séparer l'ego de l'esprit et profiter du moment sans regrets ni désirs. Par son ton décalé, ses images fantaisistes et son esprit positif, le jeu ne tombe jamais dans la condescendance. Everything se veut simple et amusant. Il laisse la liberté au joueur de profiter de l'expérience comme il le souhaite.
Car Everything est surtout un grand bac à sable. Au fil de l'exploration, il devient possible d'incarner n'importe quel objet, n'importe où, n'importe quand, de n'importe quelle taille… On s'amuse alors à chambouler les environnements en laissant parler notre imagination. Un dieu tortue domine une ville, des planètes volent au milieu de touffes d'herbe, ou une forêt de trombones pousse en plein désert… Le petit se mélange avec le grand, sans queue ni tête… Et à vrai dire, cela suffit à amuser. Aussi basique soit le système d'Everything, il laisse la place à la créativité. Dans la même veine, il est aussi possible de faire danser les objets. Si l'action permet ainsi de les procréer, elle n'a concrètement qu'un but esthétique. Et c'est amplement suffisant. Le jeu amuse facilement sans objectifs, car encore une fois c'est une immense collection de jouets. Certes, il faut ne pas non plus se prendre au sérieux, et savoir profiter de plaisirs gamins. Après tout, un jeu sur l'existence a tout à gagner à ne présenter aucun autre but que celui de profiter du moment, et laisser le joueur mettre le soleil en orbite autour d'un petit chiot si l'envie lui prend.
Sous ses airs minimaliste, le game-design de Everything s'avère être une adaptation ingénieuse du discours d'Alan Watts. Mais au-delà de l'aspect philosophique, c'est aussi un jeu qui parvient à rester amusant et accessible. Un monde vaste, surprenant, emprunt d'humour et de folie, que l'on prend plaisir à explorer et à altérer. Une interprétation définitivement ludique d'une philosophie. Bien sûr, il ne plaira pas à tous les profils de joueurs. C'est un jeu de d'exploration contemplative, et somme toute, passive. Mais si l'on est enclin à apprécier cette passivité, à juste visiter des mondes étranges et les réorganiser à loisir… On obtient une expérience enivrante, dont il est dur de décrocher. Car le plaisir d'Everything, ce n'est pas celui de l'accomplissement, c'est celui de l'instant.
- Everything
- Développeur : David OReilly
- Genre : Exploration /Simulation
- Support : PS4 / PC (Windows / Mac / Linux)
- Description : Visitez l'univers en incarnant absolument tout ce qui le compose
- Date de sortie : 21 mars 2017
- Site officiel
Content de voir que t'as écrit un bel article sur Everything, c'est réellement une super expérience! Tout le monde n'adhèrera pas au concept, c'est sûr, mais c'est vraiment à faire je trouve. Et puis en termes de game feel c'est vraiment étonnant, c'est très agréable à jouer au fond.