Arrivé en toute discrétion sur les étales de Steam, Detention, concocté par les Taïwanais de Red Candle, a su rapidement se faire remarquer par son ambiance sombre et horrifique venue d'Asie, prenant place sur un campus déserté dans les années 1960, quand un régime dictatorial tenait d'une main de fer le reliquat insulaire de la "République de Chine".
L'aventure débute alors que notre jeune héros se réveille à la fin d'un cours (forcément harassant) dans son lycée mystérieusement désert, tandis qu'au dehors le ciel s'obscurcit d'épais nuages laissant échapper de lourdes gouttes annonciatrices d'orage. L'atmosphère est crépusculaire, des néons distillent une lumière vacillante, et une solitude pesante s'est emparée des lieux. Il semble se faire tard, tout le monde a déjà dû rentrer chez lui, c'est juste pas de bol que personne n'ait pensé à nous réveiller en partant. En même temps, il n'y a que quelques escaliers à descendre et un portique à franchir pour rejoindre le chemin de la ville, il n'y a finalement qu'à rentrer chez soi. Juste l'établissement abandonné à traverser.
C'est sans mal que Detention nous immerge dans une ambiance oppressante et dépaysante. Déjà par ses visuels très travaillés, où les textures hyper détaillées maculées de tâches aux origines incertaines se découvrent à la lueur d'éclairages blafards, sous lesquels les personnages prennent des teints fantomatiques. Ensuite par un beau travail sur la bande son, qui sait imprégner du crépitement de la pluie, glacer d'un hurlement inhumain, appuyer sa narration de musiques tour à tour douces et inquiétantes. Enfin, par son contexte historique lourd qui transparaît en permanence, et ses situations qui déraillent peu à peu.
On regrettera que le rendu graphique soit entaché de lacunes techniques : animations ultra rigides, fondus au noirs caches-misère pour un oui pour un non, éléments de décor aux résolutions pas toujours homogènes et aux détourages parfois grossiers,... Rien de catastrophique, mais malgré tout des soucis qui peuvent amoindrir l'immersion à quelques moments.
En pratique, nous sommes face à du pur point & click au maniement 100% souris, dans une version très épurée où toutes les interactions se font par l’intermédiaire de l'unique clique gauche. Les rares éléments interactifs ne pouvant du coup donner lieu qu'à une seule action, on a soit des objets à regarder, soit des objets d'interaction (à prendre ou actionner) ; le tout assorti du classique inventaire, qui en l'occurence comportera rarement plus de 1 ou 2 objets. Enfin, les plus réfractaires au genre n'auront pas à appréhender la traque d'objets de trois pixels planqués au milieu d'une image HD, les éléments nécessaires à l'avancée de l'aventure étant systématiquement signalés par un ostensible point d'interrogation flottant au-dessus d'eux.
Et dans cette logique de simplification, le jeu ne brille pas par la richesse de ses énigmes, qui se bornent le plus souvent à des associations triviales, comme par exemple insérer une cassette trouvée dans une pièce dans un magnétophone situé dans une autre. On rencontrera quand même au milieu de ce jeu de piste pas folichon quelques énigmes plus élaborées et franchement sympas, qui malheureusement se comptent sur les doigts d'une main d'invalide de guerre.
Mais le jeu se veut aussi et surtout un jeu horrifique, et à ce titre on aura également à faire à des menaces intangibles qui n'hésiterons pas à nous assaillir au détour d'un écran, et dont il faudra se départir en adoptant le bon comportement (ici fuir à grand renfort de clics effrénés, là se cacher immobile,...). Le système marche plutôt bien ; du moins au début, le temps de faire le tour des 2-3 types d'évènements hostiles qui nous sont opposés. D'autant que les éléments visuels ou sonores annonciateurs assurent leur petit effet anxiogène ... là encore jusqu'à ce qu'on les ai intégrés, ce qui est l'affaire d'une ou deux rencontres, après quoi une sensation de routine se fait sentir. Dommage que cette partie ne soit pas plus étoffée et qu'elle s’essouffle assez vite.
On peut signaler la présence de quelques jump scare, utilisés avec une grande parcimonie (ce qui les rend autant efficaces que digestes), participant pleinement au climat oppressant.
On regrettera quand même que, vues les mécaniques de jeu, la possibilité d'une jouabilité à la manette (en dirigeant directement son personnage) ne soit pas proposée.
Partant sur des bases classiques mais efficaces, la trame de l'aventure va pour autant dévier peu à peu, semblant à mi-chemin s'égarer dans un imbroglio difficilement compréhensible tournant à la succession de scénettes à la signification vaporeuse. De quoi décontenancer, voire rebuter, d'autant que l'aspect horrifique à tendance à se perdre en cours de route (pas bien grave pour l'aspect routinier de certains mécanismes qu'on est content d'abandonner, plus dommageable pour l'ambiance initiale qui était terriblement accrocheuse). Mais voilà que persévérer permet de voir les wagons se raccrocher un à un, et, à la façon d'un puzzle dont l'image ne deviendrait limpide qu'une fois posées les ultimes pièces, reconstituer par touches (au terme d'environ 4h de jeu) une histoire sombre et émouvante, d'une belle et tragique simplicité, mêlant l'intime à la lourde situation politique de l'époque.
À noter que le jeu est entièrement en anglais (ou en chinois pour les vrais de vrais ), qui reste très accessible d'autant que le rythme du jeu permet sans problème le recours au dictionnaire si besoin.
TOUCHANT
Sous son aspect de point & click horrifique qui sait soigner ses effets, Detention cache un jeu avant tout narratif où les initiatives du joueur sont le plus souvent reléguées à leur plus simple expression, même si sont présentes quelques (rares) énigmes dignes de ce nom. Et si la narration peut désappointer à mi-course, les ptits gars de Red Candle prennent habilement les choses en main pour au final nous livrer une histoire humble et poignante qui nous plonge au cœur des tourments que peut revêtir le quotidien sous un régime totalitaire.