Au VIIe siècle, la plus grande ville du monde était déjà chinoise. Depuis Chang’an, la dynastie des Tang règne sur un empire immense et prospère. Aujourd’hui nommée Xi’an, la capitale de l’époque est restée célèbre pour son armée de terre-cuite enterrée. Face à l’assaut de millions de touristes armés de perches à selfie, les soldats d’argile millénaires regrettent une époque où, décidément, les gens savaient se tenir.
En 690, Wu Zetian se proclame impératrice, devenant ainsi la première femme à détenir le “mandat du ciel”, autrement plus poétique que le “pouvoir de droit divin” des puissants d'occident. Tout jeune fonctionnaire de justice, Di Renjie est chargé d’enquêter sur une série de meurtres mystérieux, qui vont le rapprocher petit à petit des arcanes du pouvoir. Ce personnage du Détective Di, intègre et juste parmi les justes, est inspiré d’un véritable notable de l’époque, membre important de l’administration judiciaire impériale. De nombreux romans et films se sont inspirés de sa vie, de manière plus ou moins universitaire, jusqu’à récemment avec les blockbusters Détective Dee. Avec ce personnage, Nupixo Games s’inscrit donc dans la longue lignée des histoires contées sur cette période politique source de légendes et fantasmes autour de la personnalité de Wu Zetian. Une femme qui gouverne, pensez-donc.
Dans cette empire uni sous le ciel, on pointe et clique de manière on ne peut plus classique, dans un style pixel art sobre, mais pas austère. Au fil des quatre chapitres, il faut fouiller les tableaux avec la minutie d’un officier de notre rang pour ramasser preuves et objets, puis les étudier à la lumière des environnements ou des dialogues avec les PNJ. Chaque séquence de l’histoire implique un nouveau cadavre, et se termine par un résumé des faits établis selon les éléments notés dans notre carnet. Les énigmes et puzzles rencontrés sont classiques, amènent parfois à sortir un stylo sans pour autant provoquer le mind-blow. Comme notre héros, fonctionnaire dévoué, le jeu est humble et ne fait que son devoir : celui d’être un honnête Point-N-Click que savoureront particulièrement celles et ceux sensibles à la culture chinoise, sans être opaque aux curieux. Si le jeu est visuellement minimaliste, la BO soignée et variée lui donne un vrai relief.
Detective Di, ce n’est pas juste des pagodes de pixels et trois notes de pipa pour l’exotisme. Chaque personnage porte en lui un trait des courants de pensées qui traversent la Chine, du plus illustre mandarin à la vendeuse de soupe du coin. Les valeurs familiales sont très présentes, notamment la notion de piété filiale, ce devoir qui incombe à chaque enfant de prendre soin des parents autant que ces derniers auront pris soins d’eux. La place de chacun dans la société féodale, la justice nécessaire des gouvernants...autant d’éléments clés du Confucianisme dont le texte du jeu déborde, avec un souci du dialogue pour le moindre personnage croisé. Sous son style graphique naïf, le titre n’hésite pas à mettre en scène les meurtres les plus sordides. Si on nous montre l'épanouissement des arts dans cet âge d’or de l’empire, la société n'est pas pour autant magnifiée. En témoigne la place faite aux “concubines”, qui rappelle que la condition de l’impératrice Wu n’est en aucun cas représentative de celle de toutes les femmes.
Si l’ambiance vous attire, vous êtes sûr de passer quelques bonnes heures (6 ou 8) à naviguer entre les meurtres bien noirs de la Chine ancestrale. Si vous aimez le point-n-click rétro (pour autant que ça veuille encore dire quelque chose) aux dialogues bien baignés dans leur jus, alors partez sans plus attendre accomplir votre destinée. Je vais à présent in extremis remplir cette convention qui veut que l'on cite Confucius dès lors qu'on aborde la culture chinoise : Lorsque l'on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça n'est pas forcément le pot qui est vide.