Journée pluvieuse sur la planète Barracus. Le mystérieux Azriel Odin est sur les traces d'un ancien compagnon d'arme datant de la guerre d'indépendance qui secoua le système Gemini bien des années auparavant. Ailleurs, le sujet Delta Six se réveille dans sa cellule d'une clinique de haute sécurité après une lobotomie en règle : il n'a aucun souvenir de son passé, de son identité, de ce qu'il fait là. C'est sur ce double tableau que s'ouvre Gemini Rue, un point'n'click développé par Joshua Nuernberger et proposé par l'éditeur habitué du genre Wadjet Eye Games, et qui a l'ambition de faire renaitre les sensations des jeux d'aventure de la grande époque des années 90, quelque part entre hommage et dépoussiérage. Pari tenu?
C'est donc sous une pluie battante de pixels que l'aventure commence, et ce qui saute d'emblée aux yeux, ce sont justement les pixels. En effet, le parti a été pris d'adopter un rendu graphique directement hérité d'une époque emblématique pour le genre, flairant bon ce cher vieux VGA 256 couleurs de nos premières aventures vidéo-ludiques. C'est à une véritable plongée en pleine nostalgie à laquelle sont conviés ceux qui ont fait leurs premières armes aux temps glorieux des jeux Lucasart, Delphine ou encore Revolution software. On pense évidemment tout spécialement aux Voyageurs du Temps et à Beneath a Steel Sky, non sans plaisir! Il est cependant probable que les plus jeunes joueurs n'ayant connu que la HD clinquante des productions modernes soient pour le moins désappointés voire rebutés. Il faut toutefois reconnaitre que derrière la faiblesse technique (parfaitement assumée) des graphismes, l'esthétique est certaine et impose immédiatement une ambiance forte, qui ne retombera à aucun moment, épaulée par de très bons choix de mise en scène.
Cette immersion est encore renforcée par des bruitages de qualité (ce crépitement de la pluie qui nous suit jusque dans les intérieurs, s'assourdissant lorsqu'on ferme la porte, ne laisse pas indifférent), et surtout des voix de haute tenue, variées et pleines de caractère. On pourrait reprocher un jeu d'acteur quelque peu forcé, mais qui à mon sens est tout à fait adapté au domaine du jeu vidéo. Notons que la musique, discrète et sobre, si elle accompagne de façon appréciable le déroulement de l'aventure, ne laissera elle pas grand souvenir.
Allez, assez contemplée la première scène qui s'offre à nous, il est temps de saisir fermement notre souris et d'agir. Dans la pure tradition des point'n'click, tout (ou presque) se déroule par l'intermédiaire du curseur. Classiquement le clique gauche permet de diriger le personnage vers le pointeur. Le droit, quand on pointe sur un élément actif, ouvre une fenêtre garnie d'icônes assurant les interactions (examiner, actionner, parler,..) et affichant également les objets de l'inventaire, que l'on peut ainsi utiliser sur l'élément pointé. Malheureusement l'ergonomie se révèle assez lourde: le recours obligatoire pour toutes les interactions au clique droit puis à la sélection de l'icône appropriée s'avérant assez fastidieux à la longue, même si on s'y habitue (seul raccourci offert: un double clique gauche répète, sur le nouvel objet pointé, la dernière action effectuée... ce qui n'a pas grand intérêt puisqu'on fait rarement deux fois de suite la même action sur deux objets différents ; on aurait préféré par exemple, suivant les jalons déjà posés par Monkey Island il y a près de 25 ans (!), accéder par ce double clique à une action par défaut spécifique à l'objet pointé : "actionner" pour les portes, "parler" pour les personnages, etc.). De même, la consultation de l'inventaire ne peut se faire que via cette fenêtre d'interaction, ce qui signifie que jeter un œil aux objets à sa disposition obligera à chaque fois à pointer un objet actif...
Passés ces écueils, l'aventure est étonnement fluide, la résolution des énigmes se faisant de façon souvent très intuitive et parfois joliment logique. Et si l'on prend plaisir à par exemple forcer une serrure d'un coup de revolver, on pourra en revanche regretter que tout cela n'oppose pas beaucoup de difficulté. D'autant que la progression est très dirigiste. En effet les éléments d'interactions sont peu nombreux, les choix lors des dialogues limités, et certains lieux ou personnages ne sont accessibles que lorsqu'ils font avancer l'intrigue, simplifiant ainsi le jeu de piste habituel. Et c'est sans compter sur le fait que les personnages rencontrés nous aiguillent généralement plus que lourdement sur les tâches à accomplir, du genre "peut-être devrais-tu interroger les habitants du quartier?". Au moins ne risque-t-on pas de trop rencontrer la frustration de rester "coincé" dans la progression du jeu, surtout que la durée de vie se montre très correcte malgré tout. Et il n'en demeure pas moins que certaines énigmes sont très plaisantes à résoudre, avec même par moment quelques subtilités bien amenées.
Gemini Rue propose aussi quelques scènes de tirs, peu dynamiques et sans grand intérêt au niveau de la jouabilité (laquelle s'avère soit dit en passant assez étrange et se déroule au clavier en QWERTY: penser à modifier les paramètres du clavier pour que cela ne devienne pas incontrôlable), mais qui viennent pimenter finalement agréablement le déroulement de l'aventure.
Et en dépit de son gameplay parfois poussif, il est fort à parier que ceux qui sauront se laisser porter par l'ambiance incroyable que dégage ce titre, mêlant science-fiction et film noir, resteront scotchés à leur souris et ne regretterons pas le voyage vu la qualité du scénario. En effet, sans délivrer de spectaculaire twist final (et tant mieux peut-être car il arrive que ce procédé vire au grand-guignol), la fin de l'aventure saura malgré tout certainement surprendre le joueur qui appréciera une trame habilement ficelée, en plus de livrer, avec une pertinence rare dans un jeu vidéo, une réflexion loin d'être de pacotille. Dur d'en dire plus sans gâcher le plaisir de la découverte, mais on pourrait sans difficulté comparer ce récit à du très bon Philip K. Dick, surtout que les thématiques abordées sont très proches de celles qui étaient chères à l'auteur. Et pour ne rien gâcher, des notes d'humour parsèment à l'occasion les dialogues avec des répliques parfois bien senties, venant alléger une histoire plutôt sombre, sans nuire pour autant à l'intensité dramatique, même à l'inverse contribuant fortement à créer une complicité palpable entre certains personnages, ressort d'émotion non négligeable.
On pourra juste regretter un manque d'ampleur de l'action, notamment les lieux sont peu nombreux et les deux histoires parallèles se déroulent chacune dans un mouchoir de poche ; mais la montée en puissance de l'intrigue dans la dernière partie du jeu balaye sans peine ce reproche.
Attention toutefois, le jeu est entièrement en anglais, avec sous-titres intégraux mais "in english too": un niveau de compréhension assez correct de la langue de Shakespeare est hautement recommandé pour apprécier Gemini Rue à sa juste valeur.
Gemini Rue réussit là où on ne l'attendait pas vraiment: usant maladroitement d'un gameplay qui semblait pourtant rodé depuis plus de 20 ans, il révèle une intrigue à l'inverse d'une rare qualité, à l'ambiance prenante, qui incite à bien vite surmonter ses défauts, même s'ils rebuteront sans doute les moins férus du genre.
Un conseil simple: essayez la démo, si l'ambiance vous plait et les mécanismes de jeu ne vous découragent pas, n'hésitez surtout pas à investir les malheureux 10$ requis pour vivre la suite de l'aventure, vous ne serez pas déçu.
Nom du jeu: Gemini Rue
Développeur: Joshua Nuernberger (éditeur: Wadget Eye Games)
Genre: point'n'click
Support: PC, Mac, Linux, iOS, Android
Description rapide: point'n'click "à l'ancienne" développant une intrigue de science-fiction à l'écriture de haute tenue
Date de sortie: février 2011 (PC) / courant 2013 (portages multi-plateformes)
J'ai beau être un vieux, quand il s'agit d'un point & click, j'aime bien avoir des jolis graphismes, bien dessinés, et tout et tout; mais il faut avouer que le rendu est peut être pixélisé, le travail artistique sur Gemini Rue est très très bon J'essaierai la démo à l'occasion pour me faire une idée. Merci!
"Voler est d'une simplicité biblique, si tu ne sais pas comment t'y prendre. C'est le truc important : ne pas être du tout sûr de savoir comment on s'y prend"
Bah, il me semble qu'en dépit de la résolution (sacrément ^^) limitée à du 320x240 et 256 couleurs (à des fins d'hommage essentiellement), qui ne plaira pas à tout le monde je te l'accorde ;), on peut difficilement reproché à Gemini Rue de ne pas proposer de "jolis graphismes bien dessinés" :/.
OUUPS!! Mea culpa, c'est pas un jeu indé en fait, puisqu'il y a un éditeur, qui a bien dû financer des trucs!! (le fourbe ^^)
====> merci à ceux qui en ont le pouvoir de changer le test de rubrique SVP!
Je repasse par là pour dire que j'ai fait la démo. Le jeu est super beau, le niveau de détails est vraiment impressionnant. C'est un peu comme une toile impressionniste, de près : plein de petites tâches (enfin de carrés), et de loin les tableaux prennent tout leur sens. Comme toi, je ne suis pas très convaincu par le gameplay, il y avait moyen de faire plus simple. La progression est superlourde, c'est dommage. C'est très jouable mais lourdingue. Enfin, je me prendrai sûrement la version complète un de ces 4, j'ai d'autres jeux à finir avant : soyons raisonnables.
Concernant le indé/pas indé, c'est une question de point de vue non? D'après un petit paragraphe sur le test de jvc, Gemini Rue a été fait par une seule personne qui a gagné un prix pour ce jeu, et qui a été repéré par Wadjeteyes Games. Il s'agit d'un petit studio indé spécialisé dans les point & click qui s'est mis à éditer quelques jeux dans la même veine que leurs propres jeux. Wadjeteyes se serait occupé de la promo du G R et de l'embauche de doubleurs.
Donc je suis d'accord sur le fait que le dév de G R n'est pas entièrement indépendant, vu que son jeu a été appuyé par une un éditeur qui a donc en toute logique réclamé une contrepartie, mais ce n'est quand même pas comme si G R avait été édité dès le début du développement par E.A ou une autre entreprise de cet acabit.
Du coup on en revient à la définition du jeu indé... Est ce que se faire éditer par un studio se définissant comme indé fait de son jeu un jeu plus indé? Je pense qu'il ne faut pas forcément être toujours si catégorique.
"Voler est d'une simplicité biblique, si tu ne sais pas comment t'y prendre. C'est le truc important : ne pas être du tout sûr de savoir comment on s'y prend"
Je suis assez d'accord avec john_moogle. Je me suis posé la même question en faisant le test de Rush Bros. Il a été fait de manière indépendante par Xyla Entertainment mais a été édité par Digital Tribes. Donc l'éditeur s'est occupé de la partie marketing et pas vraiment du jeu. Est-ce pour autant que Rush Bros n'est pas un jeu indépendant ? Difficile à dire...
Merci à vous de me rassurer! J'attendrais quand même qu'une autorité d'Indie Mag vienne donner son jugement définitif, et statue sur status indé ou non (c'est vrai que le jeu semble avore été développé essentiellement par Joshua Nuernberger seul, mais pas sûr p.ex. que les voix n'aient pas été implémentées grâce à un budget supplémentaire pour payer les acteurs, ou d'autres choses encore?).
Si validé comme tel, je lui remettrait la mise en page (ou plutôt "mise en couleur") Indie Mag ;).
Sinon, John, content de lire que tu trouves finalement les graphismes très jolis!
Autrement il faut bien voir que la démo met surtout en avant l'ambiance ...et les faiblesses du gameplay ; la finalité du scénario ne prend corps que plus loin, et des énigmes quand même sympatoches font leur apparition (même si la jouabilité reste ce qu'elle est -_-'). Donc aucun risque d'être déçu en prenant le jeu complet.
Ah Gemini Rue Pour moi il reste indé, Wadjet Eye Games est a la fois dév et éditeur... Mais à la base c'est un studio indépendant fondé par Dave Gilbert pour sortir ses P&C : The Shivah et la série des Blackwell Après... C'est le coeur qui parle encore une fois x)
Essayez Resonance édité aussi par WEG mais pas dev' par eux On va les qualifier d'éditeur indépendant
C'est vrai que Wadjet Eye développe aussi, mais en l’occurrence Gemini Rue non plus n'a pas été développé par le studio ;).
Je crois qu'ils n'ont développés "que" The Shivah (dont une version relookée est sorti récemment d'ailleurs), et les Blackwell, toutefois pas impossible que les autres point&click à leur catalogue utilisent le même moteur de jeu, peut-être bien "fait maison" (notamment pour tous ces jeux on retrouve j'ai l'impression le même genre de portraits en vignette et les cadres d'aspect identiques lors des dialogues).
Et c'est vrai que tout ces jeux sont alléchants (surtout pour un amateur des point&click de la première heure comme moi ^^), mais pas trop le temps de m'y adonner en ce moment... :/
Excellent test Nival ! Est-ce que tu m'autorises à le publier sur le site ?
[img]http://www.indiemag.fr/sites/default/files/Forum/bandeau_forum.jpg[/img]
Work in progress. The whole time.
Eh eh, avec plaisir bien sûr, c'est toujours un honneur!
(je vois que c'est déjà chose faite vue ma réponse tardive ...ah bah, j'étais en vacances :P)
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