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Portrait de Nival
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#1
Message Sujet: [TEST] STASIS     13/09/2015 à 19:53

Avouez que vous ne l'attendiez pas celui-là! Ravi

STASIS: point & die

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Bon, bah j’ai craqué... Autant "client" de point & click qu’amateur de SF et de "films de monstres", je n’avais pourtant pas vraiment été convaincu par les trailer ou encore le pitch de ce Stasis, qui m’avaient semblé afficher surtout des éléments extrêmement génériques quand on cherche à accoler SF et horreur. Avec certes une atmosphère qui avait l’air pesante à souhait, mais pour moi au goût très prononcé de déjà-vu. Du coup j’étais assez surpris de l’engouement (pour ne pas dire la "hype" Clin d'oeil ) que ce projet paraissait susciter, et quand j’ai vu les premiers tests paraitre avec notamment ce 9/10 sur Gamekult, pour «un des point’n click les mieux écrits de ces dernières années» à la «conclusion aussi géniale que terrifiante», la curiosité a atteint un paroxysme qui m’a poussé à franchir le pas ; le pas de la porte rouillée et maculée de sang du Groomlake.

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Le Groomlake: votre lieu de villégiature, douillet et accueillant.


Réveil en plein cauchemar

Si on fait abstraction de son caractère vu et rebattu, le point de départ de Stasis immerge instantanément le joueur dans une intrique matinée de mystère et d’angoisse: John sort de cryostase, l’esprit embrumé et endolori, dans un vaisseau qui n’est manifestement pas celui sur lequel il avait embarqué pour de joyeuses vacances en famille. John est seul, le vaisseau vide, les lumières vacillantes et les parois souillées d’abondantes trainées de sang. L’horreur semble poindre à chaque bout de couloir, et ce n’est qu’un début...

L’ambiance immédiatement pesante est portée par un rendu graphique extrêmement réussi, à grand coup de couloirs obscurs, de néons clignotants et d’ombres rotatives projetées par les larges systèmes de ventilation, révélant par intermittence les résidus d’êtres humains généreusement étalés de la proue à la poupe. Sur cette base solide de navire à l’abandon jonché de cadavres, les décors évoluent et se diversifient agréablement au fur et à mesure de nos pérégrinations: zone de stockage, laboratoires variés, quartier résidentiel,... Dommage que les rendus à base de modélisation 3D soient parfois trop propres et lisses pour restituer au mieux le caractère organiquement poisseux que voudraient revêtir certaines représentations. Un peu en marge on pourra regretter que le brio esthétique se trouve entaché d’errances techniques en ce qui concerne les animations: rigides, pauvres, mal intégrées ou désynchronisées par rapport aux sons joués. Rien de rédhibitoire, mais cela peut à certains moments casser un brin l’immersion.

L’atmosphère glauque se trouve appuyée par une bande sonore travaillée et globalement réussie, même si parfois exagérée dans ses effets (j'y reviendrai). La musique rythme certains passages de l’aventure de façon judicieuse mais sans marquer les esprits, en dépit d’une mélodie principale très élégante et inspirée (typée berceuse enfantine) malheureusement à mon sens largement sous-exploitée.

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La sortie de cryostase est quelque peu douloureuse...


Errer parmi les ombres

La jouabilité est celle d’un point & click traditionnel, version simplifiée à l’extrême où tout se fait par l’intermédiaire d’un unique bouton: pointer un objet suffit à en faire apparaitre la description (économisant l’action "regarder"), tandis qu'un simple clique gauche déclenche les interactions sur les quelques éléments propices (signalés par un curseur prenant la forme d’une main). On retrouve sinon l’inévitable inventaire et la possibilité de combiner les objets entre eux.

Ces mécaniques simples sont mises au service d’énigmes souvent là encore assez classiques, mais faisant la part belle aux indices cachés dans les nombreux "journaux de bords", remplis consciencieusement par les différents membres d’équipages et éparpillés un peu partout sur le vaisseau. Cela amène quelques bonnes idées, mais aussi des passages franchement confus, surtout quand on a compris ce qu’il faut faire mais qu’on ne sait pas comment le jeu veut qu’on le fasse... A quelques reprises aussi certains objets cruciaux sont rendus invisibles par la foule de détails dont recèlent les décors et une lisibilité mise à mal par la perspective isométrique. D’autant que les choses peuvent se montrer incongrues (comme quand il faut ramasser un bout de chair imperceptiblement noyé dans le décor, alors que tout le vaisseau est recouvert de corps déchiquetés qui logiquement pourraient tout aussi bien faire l’affaire...). Mais si on pestera à quelques reprises (aussi à cause d'un pathfinding fréquemment chaotique), on finit souvent par venir à bout par soi-même des difficultés qui s’oppose à nous, quitte à tâtonner lourdement et résoudre une situation "par hasard"...

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«Hello!?... Anybody there?...»


La confession des morts

Un élément particulièrement réussi de Stasis reste sa narration. C’est un peu ce qui nous maintient en suspend tout le long de l’aventure: en apprendre toujours plus sur les nombreux mystères que renferme cette sépulture géante que constitue le Groomlake. Et cette découverte se fait par la lecture des "journaux de bords" déjà évoqués. Et de la lecture, il y en a un bon paquet! Mais jamais ennuyeuse, car les révélations qui nous tiennent en haleine apparaissent au gré de messages relatant la vie quotidienne de chacun et révélant des mini-intrigues à propos desquels on aura droit à chaque point de vu, avec les petits jeux d'"être" et de "paraitre" qui vont bien, de quoi en permanence stimuler l’intérêt. Il ne faut pas être allergique à la lecture quand même, surtout que comme déjà dit, pour ne pas faire de ces confessions des éléments trop optionnels, elles renferment aussi des indices permettant de progresser dans le jeu, donc la lecture en diagonale est difficile à envisager.

On peut quand même trouver étrange ce mode de narration ; enfin, aussi étrange que très classique et accepté depuis bien longtemps dans le milieu du jeu-vidéo certes, mais il faut avouer qu’il est pour le moins bizarre d’imaginer les passagers de notre vaisseau de recherche étaler leurs pensées les plus intimes à longueurs de pages sur leurs terminaux portatifs. Une facilité évidemment, mais qui fonctionne malgré tout.

Dommage en revanche que, tout distrayants soient leur contenu, les textes mettent en scène, à quelques exceptions près, des personnages caricaturaux et sans grand intérêt. De même que les points de vus croisés concernent surtout des micro-intrigues assez attendus (rivalités amoureuses ou professionnelles pour l’essentiel), et très peu les évènements majeurs qui ont secoués les entrailles métalliques de notre tombeau d’acier, au sujet desquels on ne retrouve que des évocations évasives et redondantes. Ce qui est d’autant plus dommage que les entrées étant minutieusement datées, se dessine assez vite un tableau chronologique plutôt précis de certains faits (la pénurie, l’explosion,...), mais jamais cela n’est mis à contribution de façon astucieuse dans la narration. Qui reste donc efficace, mais convenue.

IMAGE(https://lh3.googleusercontent.com/pw/ACtC-3fRWScwTSEJ0v6yujaxfdDnj3Crnvrv8veiIDqoHopzLb5m5x90d0U5qjfzdH_6nZjfndxSxCyqznGfp4-yzHecLNIFxhfjaGrpbg7aANUaKDgRLvavh-TfUfBgqR2kq0IKCwKRpNE4xTWkgTxUM-o=w633-h356-no)

Dans le futur, préparez-vous à une nette régression des interfaces utilisateurs.


Éprouver les limites de l’horreur

Mais au-delà de la forme narrative, que vaut donc l’histoire contée? On s’en doute, on va avoir droit à des horreurs et monstruosités en pagaille. Et on n’est pas déçu sur ce point... Mais pas surpris non plus. Si le scénario de Stasis nous offre un patchwork d’influences relativement unique dans son assemblage global, chacun des éléments qui le constitue se trouve pioché dans une imagerie culturelle et cinématographique facilement identifiable. Si bien qu’on parcourt le jeu assurément sans déplaisir, toujours satisfait d’"enfin savoir" ce qui s’est réellement passé, mais avec cette sensation d’être en permanence en terrain connu et balisé, sans parler des nombreuses incohérences et invraisemblances qu’il vaut mieux ne pas relever. Et ce jusqu’au grand final, sous forme de mini-rebondissements en cascade, à mon sens parfaitement ternes car extrêmement prévisibles.

On pourra quand même y trouver, de fait, un aspect référencé parfois plaisant (comme le coup du chat Tire la langue ), mais il faut reconnaitre que ces éléments sont généralement trop platement calqués sur les œuvres dont ils s’inspirent, sans y apporter le brin de malice dans l’évocation qui en ferait de sympathiques clins d’œil. Un exemple bien représentatif est l'endroit de l'espace où l'action prend place, l'orbite basse de Neptune (à l’identique d’Event Horizon donc): cette situation singulière ne se trouve jamais justifiée, et donc se borne à reproduire telle qu’elle une des (rares) bonnes idées du film de Paul W.S. Anderson. Certes en y faisant dés lors référence, mais ce qui se limite à dire "c’est pareil que dans...".

Après, avoir une intrigue peu innovante, c’est une chose ; on peut toujours en tirer des réflexions extrêmement pertinentes si on l’aborde de façon intelligente. Je pourrais citer La Mouche de Cronenberg, à mon sens chef-d’œuvre de la série B (et du réalisateur canadien), à l’histoire basique et stéréotypée, mais dont le traitement met en exergue les enjeux dramatiques de façon fabuleuse. Ou encore le court (et intense) livre La Route de Cormac McCarthy (attention, pas le film! ne SURTOUT pas voir le film qui est insipide et risque de gâcher la découverte qui pourrait être faite du livre!), qui ne raconte rien d’autre que du très convenu (errance d'un père et son fils dans un monde post-apocalyptique), mais dont l’auteur américain tire de magnifiques réflexions sur, finalement, rien de plus que le sens de l’existence Tire la langue .

Stasis effleure lui un sujet une nouvelle fois classique, mais très loin d’être inintéressant, celui de l’éthique des sciences, et notamment des sciences touchant au vivant, et tant qu’à faire à l’humain. Problème: "effleurer" n’est pas un vain mot, tellement le caractère caricatural et grotesque des exactions commises par les pseudo-scientifiques du Groomlake tue immédiatement dans l’œuf tout embryon de réflexion: ici on a à faire au mieux à des "savants fous", mais en fait plus simplement à de purs psychopathes grand-guignolesques, qui s’enorgueillissent ouvertement de torturer pour le plaisir (et à l'occasion, accessoirement, «pour la science», même si on a du mal à voir en quoi...) ; et les bribes d’état d’âmes qui peuvent s'échapper fugacement des confidences des laborantins se montrent d'une telle volatilité qu'ils ne peuvent témoigner que de parfaits benêts ou d’esprits sérieusement dérangés. Autant dire que devant un manichéisme aussi outrancier, pas grande réflexion n’a de chance de germer.

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«Un morceau de papier sur lequel est écrit: "suite à restriction budgétaire, la hache d'incendie à été remplacée par ce mot"» (la seule note d'humour du jeu... (désolé pour le spoil...))


Comme un arrière-goût de chair et d'acier

Mais bon, au final, il faut bien le dire: on s’en fiche un peu. On ne franchit pas la porte béante du Groomlake pour se poser des questions d'ordre philosophique ou lire de la grande littérature. On est là pour l’ambiance poisseuse, pour l’atmosphère oppressante, pour frissonner seul dans le noir.

Et du coup, est-ce qu’on frissonne?

Perso je dirai bof. Passé le premier "jump scare" complètement parachuté (mais qui fonctionne Clin d'oeil ), on est tellement assailli d’effets horrifiques tous plus injustifiés les uns que les autres, qu’on n’y prête rapidement plus vraiment attention (à l'instar de ces cris de terreur qui résonnent régulièrement dans les coursives, alors même que les nombreuses heures que vous passerez à bord auront tôt fait de vous convaincre qu’il n’y a plus grand monde à même de pousser de tels hurlements ; et que dire de ce ricanement digne d’une sorcière de Blair qui retentit à un moment?? Rien dans l’intrigue ne permet de le justifier...). Et jouer de ce genre d’effets à tout bout de champ quand dans le même temps on ne se retrouve jamais exposé au moindre des dangers qu’ils sont censés suggérer, cela en annihile définitivement la portée.

De même, à empiler les cadavres éviscérés en charniers sanguinolents à chaque coin de couloir, l’indifférence gagne vite, et on en vient même à se surprendre que ce bon vieux John s’esclaffe soudainement devant une vague flaque de sang, dans un murmure à moitié étranglé d'effroi: «je... je crois que j’ai trouvé l’équipage!... ». Alors qu’on a déjà croisé des macchabées en décomposition par palettes de cinquante sans que notre héros ait trouvé jusque-là à s’émouvoir. Et qu’il a même sauvagement défoncé, sans broncher et sans remord, le crâne d’un pauvre hère moribond à grands coups de bottes pour en récupérer avidement un œil ; sans même encore savoir qu’il en aurait besoin pour franchir un scanner rétinien...

On en vient à un autre soucis qui à mon sens évacue pas mal de la tension potentielle: a aucun moment je trouve qu’on n’ait la moindre empathie, et même sympathie, pour notre personnage. L'attitude incompréhensible de John qui se met soudain à chouiner devant, certes, une horreur, mais après en avoir traversé bien d’autres (et des pires) sans ciller, ça m’a vite agacé. Sans parler des phrases qu’il sort à tort et à travers quand on teste une action qui n’est pas la bonne (et on est amené à en tester pas mal!), constamment à côté de la plaque, et toujours lancées sur un ton plaintif et exaspérant. Les enjeux s'avèrent aussi passablement artificiels ; et le comportement des rares personnages encore à même d’en avoir un, farfelu et incohérent. Si bien que toute notion de suspense s'évanouit irrémédiablement.

Globalement, Stasis nous expose surtout à un glauque forcé, gratuit et complaisant, à l’image de cette grosse giclée de sang qui s’abat lourdement sur l’écran à chaque mort, avec un son bien explicite, quand bien même cela n’a aucun rapport avec le contexte du décès.

Néanmoins, il faut bien admettre une chose: une fois le jeu terminé, on en garde un gout un peu âpre dans le fond de la gorge, avec cette impression d’avoir vécu quelque chose. Quelque chose d’assez éprouvant mine de rien, parce que si on ne va pas sursauter, trembler, être sous tension ou craindre pour notre personnage, on aura passé pas loin de 8h (si on lit tous les écrits et qu’on bute comme moi laborieusement sur plusieurs passages retors... Tire la langue ) à errer dans une obscurité glaçante avec comme seule compagnie le regard évidé de corps putréfiés. Et ça, ça fonctionne.

Que l'on trépasse rongé à l'acide, brulé, électrocuté ou noyé, c'est invariablement une gerbe de sang bien grasse qui nous jaillit au visage avec éloquence.



CONCLUSION:

Stasis est un jeu d’ambiance. Et si on pourra lui reprocher les faiblesses de son scénario et de ses enjeux, le caractère bancal et frustrant de certaines énigmes ou encore ses maladresses formelles, force est de constater que l’ambiance fonctionne. Et que le gameplay reste suffisamment plaisant, et la narration suffisamment porteuse, pour permettre de nous y plonger (et nous y perdre) de longues heures durant.
Un jeu pas exceptionnel mais sympathique donc, à réserver quand même aux amateurs du genre.